J'ai été passer les fêtes en Allemagne.
En général, je passe Noël dans un village près de Nuremberg et le Jour de l'an, chez ma sœur à Berlin.
J'y vais et je reviens en train. Je suis rentrée début janvier.
Quelques jours après mon retour, j'ai été boire un verre avec Linda.
Elle m'a offert des lacets phosphorescents et un flipbook : Elvis Presley qui danse au fil des pages !
Je lui ai offert un poisson magique et un petit dictionnaire d'images pour son prochain voyage.
Le poisson magique est un petit poisson plat que l'on met au creux de la main.
Il se tortille et ses mouvements indiquent une signification inscrite au dos du sachet.
Le poisson a beaucoup plu à Linda : "Tant de pouvoir dans un si petit objet !"
Le dictionnaire d'images sert à pointer ce que l'on veut ou ce dont on a besoin là où on ne parle pas la langue.
De la bassine à la trompette en passant par les œufs et leur cuisson, l'univers semble tenir dans ce petit livre de 72 pages.
Linda le feuilletait encore et encore : "C'est marrant... ça donne envie de voyager et de se perdre !
Tu as prévu de partir en vacances bientôt ?
– Non, j'ai rien de prévu ! Et puis je viens de rentrer.
– Tu aimerais aller où ?
– Je sais pas..."
Elle a continué :
"C'était où ton plus beau voyage ?"
Ce que j'aime quand je vais quelque part, c'est me balader lentement.
Je n'ai pas envie de passer dix jours en Thaïlande ou trois au Portugal à courir partout pour voir le plus de choses possibles.
Je crois que mes plus beaux souvenirs tiennent à des anecdotes.
Une fois à Adelaïde, j'ai marché de l'auberge de jeunesse où j'étais, jusqu'à la mer en suivant une rivière.
J'étais heureuse d'être là : ma tante habite en Australie. Enfant, elle m'avait offert un magazine avec une carte du pays. Adelaïde me semblait être la ville la plus loin de tout.
Le nom me plaisait aussi.
Le trajet fait environ treize kilomètres.
Je marche facilement treize kilomètres et je me suis dit que je prendrais un bus au retour.
Je pars, trouve la rivière et la suis.
Deux ou trois kilomètres avant la mer, elle rétrécit.
Elle devient de plus en plus fine si bien qu'à quelques mètres de la mer, on se dit qu'elle n'arrivera jamais à s'y jeter et à être une rivière.
Mais un tout petit filet d'eau persiste à suivre son chemin. Si bien que la rivière qui paraissait peiner et être à bout de force semble dire, orgueilleuse et fière : je suis une rivière.
J'avais été très émue par la rivière, la mer, le point sur la carte du magazine où je me trouvais à présent.
J'avais envie de continuer à marcher et je suis repartie en sens inverse. J'étais à deux ou trois kilomètres de l'auberge de jeunesse.
Je passe sous un pont : une araignée énorme se jette dans le vide, à quelques mètres de moi.
Elle était luisante, avec une sorte de carapace.
J'ai fait demi-tour pour contourner le pont.
Une autre fois dans un bus à Vancouver, un homme qui faisait la manche a commencé à me parler.
On a discuté pendant une dizaine de minutes. Il était un peu éméché, mais pas du tout agressif.
Il m'expliquait qu'il était moitié canadien, moitié amérindien, moitié irlandais, moitié allemand et un peu italien.
J'ai ri en lui disant que ce n'était pas étonnant qu'il soit si grand.
Il n'a pas semblé comprendre.
Il parlait quelques bribes d'allemand et m'a sorti tout fier : "Das Leben ist kein Ponihof!"1
Ah ça, ma grand-mère le disait aussi !
J'ai répondu du tac au tac : "Stimmt, deswegen muss man die Ohren steif halten!"2
J'ai promis de lui envoyer une carte de Paris, j'ai noté ses coordonnées et n'ai jamais envoyé de carte.
Pourtant, j'ai toujours son adresse sur un bout de papier que je passe d'un carnet à un autre.
Linda m'a demandé : "Pourquoi tu lui envoies pas de carte ?
– Oh, c'était il y a longtemps. Il a sûrement oublié et puis il est peut-être mort !
– Oui, mais toi t'es là et tu y penses."
Voilà, c'est ça qui me vient à l'esprit : la rivière, la mer, l'araignée qui défend son territoire, Chris qui erre dans la ville.
Plein d'autres choses se bousculent dans ma tête.
Linda a raconté, comme perdue dans ses pensées : "À Los Angeles, il y a un bus qui traverse la ville d'est en ouest.
Tu le prends près d'un gros centre commercial. Ce bus suit une route toute droite pendant près de deux heures.
Tu vois les gens défiler, les voitures, les maisons, les quartiers.
Au terminus, tu descends : t'as l'océan devant toi, un pays derrière.
Le 720. Il y en a un toutes les vingt minutes."
1 "Tout n'est pas rose dans la vie", littéralement "La vie n'est pas une cour à poneys."
2 "Tiens le coup", littéralement "Garde les oreilles droites."
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You don't have to say you love me – Elvis Presley
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